Parcours Européens à Rouen.

Parcours Mouvement Européens à Rouen.
Centre Historique de Rouen

Hector Malot (1830-1907)
Écrivain célébré puis déclassé au XIXe siècle, oublié au XXe siècle

Que savez-vous de cet écrivain à succès du XIXe siècle, maître de la littérature populaire, encouragé par Zola qui voyait en lui un héritier de Balzac ? Sans famille est probablement le seul ouvrage que vous pouvez citer car vous avez versé des larmes en le lisant dans votre tendre enfance. Pourtant il a écrit une soixantaine de romans qui ont passionné ses contemporains. À l’échelle locale, on a donné son nom au collège de Mesnil-Esnard et à quelques écoles. Il est aussi ressorti de l’oubli le temps d’un hommage officiel en 2007 et d’une exposition en 2017 à Elbeuf. Mais il n’est plus dans la mémoire collective. Comment expliquer cet effacement littéraire ?

De la lumière à l’oubli

L’ascension

Hector Malot par Nadar, BnF

Après des études au Collège royal à Rouen (actuel lycée Corneille) et à Paris, puis une formation en droit, ce fils de notaire impose à sa famille de faire une carrière littéraire. Cela passe par Paris et le journalisme (1853). Il signe des articles sur des sujets très divers, des chroniques, des feuilletons. Il rencontre le succès littéraire avec la trilogie Victimes d’amour, comprenant Les Amants (1859), Les Époux (1865), Les Enfants (1866). L’intrigue est centrée sur un personnage mu par une passion dévorante qui le conduit inéluctablement à sa perte. Le monde littéraire voit en lui un auteur prometteur, héritier de Balzac. Hippolyte Taine, le premier, fait son éloge. Il apprécie son traitement de la passion et aussi l’enchaînement dramatique. Il relève encore sa retenue qui laisse une place au lecteur.

Zola par Lemercier, Gallica BnF

Zola aussi remarque ses qualités d’analyste et s’extasie sur « M. Hector Malot portant le tablier d’anatomiste et fouillant la chair vivante de la bête humaine ». Anatole France fait chorus. Toutefois, Zola pointe des situations « invraisemblables » dans le 3e volume. Dans Sans famille (1878), il dénonce même une tendance à l’affabulation. Jules Vallès fait partie des admirateurs, ce qui fait ricaner l’intelligentsia parisienne anti-communarde.

Hector Malot a aussitôt des détracteurs : pour Barbey d’Aurevilly, il n’a pas renouvelé le genre littéraire, avec « Ce misérable type d’homme ou de femme à deux amours ». Se focalisant sur la précision des descriptions, il critique aussi le style de l’auteur pour sa « sécheresse strangulante ».

Le désamour

Hector Malot est un écrivain reconnu jusqu’en 1880. Par la suite, il accumule les succès populaires, mais les grands auteurs cessent de s’intéresser à ses romans, considérant que l’écrivain prometteur est tombé dans la facilité et néglige l’écriture. On raille ses romans à rallonge publiés en feuilletons dans le journal Le Siècle ou Le Temps et on l’étiquette feuilletonniste. Parmi les railleurs, Edmond de Goncourt.

L’oubli

Ses romans pour adultes sont lus jusque dans les années 1930. Puis, considérés comme démodés, ils sont délaissés et l’auteur est oublié. Malot avait pourtant autant de lecteurs que Jules Verne et Alexandre Dumas. Les littératures et encyclopédies du XXe siècle lui accordent très peu de lignes, quand il n’est pas présenté comme feuilletonniste dans la littérature de consommation.
Seules ses œuvres de la littérature de jeunesse traversent le XXe siècle, tel Sans famille (1878).

La littérature de jeunesse

Hector Malot écrit quatre romans pour les enfants : Romain Kalbris (1869), Sans famille (1878), En famille (1893), Le Mousse (publié en 1997), qui sont des romans d’aventure. Les enfants l’intéressent, y compris les siens : sa fille Lucie, et sa petite-fille Perrine, à qui il dédie Le Mousse. Son écriture est accessible aux jeunes, mais ses histoires, qui s’inscrivent dans la veine réaliste, sont dures avec toutefois un happy end qui est la règle de ce genre littéraire.

Des enfants héroïques

Romain Kalbris, personnage éponyme du roman, enfant maltraité et révolté, exerce mille métiers au cours de ses tribulations.

Sans famille, Editions Hetzel, Gallica BnF

Sans famille raconte les aventures de Rémi, un enfant trouvé, d’abord adopté par une brave femme creusoise, la mère Barbarin, puis vendu à un musicien ambulant, le signor Vitalis, qui l’emmène sur les routes de France et d’Angleterre. Au cours de son existence errante avec les petits animaux savants et son protecteur, il expérimente la faim, le froid, la peur, l’injustice qui alimentent des épisodes pathétiques. Il retrouve finalement sa mère en Angleterre et découvre ses origines.
Comment expliquer le succès pérenne de cette œuvre ? C’est un roman d’aventure singulier, inquiétant et émouvant. Les lecteurs s’identifient à Rémi, personnage attachant qui affronte l’adversité avec courage. Les secrets des adultes sont autant d’accroches. C’est en effet un roman d’initiation à la vie, pleine d’épreuves et sous le contrôle d’adultes non exemplaires. C’est à tort que l’invective « rémi » dans les cours de récréation signifie « soumis ».

« En famille, » Editions Hetzel, Gallica BnF

En famille est l’histoire d’une jeune orpheline, Perrine, issue d’une mésalliance, qui se bat pour se faire accepter par sa famille. Symbolique des épreuves qu’il faut surmonter dans la vie est son long parcours à pied entre Paris et la Somme pour retrouver son aïeul. Après s’être réfugiée dans une île du marais picard où elle survit tel un Robinson, elle se fait embaucher sans révéler son identité dans la filature de son grand-père, dont elle gagne la confiance. Séduit par tant de volonté et d’intelligence, l’industriel finit par la reconnaître et accepte de prendre des mesures sociales en faveur de ses ouvriers. Pour un roman pour la jeunesse, cette œuvre a une singulière coloration sociale. Ce roman a du succès, toutefois moins que Sans famille.

Depuis Le Tour de France de deux enfants (1876), il y a une mode littéraire des pérégrinations. Pour Hector Malot, elles sous-tendent la quête d’identité personnelle et sociale des enfants.

Ces romans ont contribué à valoriser la littérature de jeunesse. En outre, avec En famille, Hector Malot féminise ce genre littéraire. Ils ont aussi trouvé leur place dans l’Éducation nationale.

L’impact à l’étranger

Naki Ko Remi, Dessin animé japonais

Ces romans sont traduits dans toutes les langues et inspirent d’autres œuvres avec des orphelins.
Il y a une Perrine québécoise. Dans Les Aventures de Perrine et Charlot (1923), Marie-Claire Daveluy raconte l’histoire de deux jeunes orphelins embarqués clandestinement pour la Nouvelle France en 1636. Perrine, est une héroïne qui se bat pour protéger son frère et assurer leur survie.
Au Japon, Rony, l’enfant de la mer (1940) est une adaptation de Romain Kalbris.

Les nombreuses adaptations de Sans famille

Scène du film de Marc Allégret, 1934

Sans famille a donné lieu à quatre films entre 1913 et 1958, dont la version de Marc Allégret en 1934, et un film en 2017. Surtout, à l’ère de la télévision, il inspire un grand nombre de téléfilms et de séries télévisuelles, ainsi qu’une série japonaise d’animation diffusée en France en 1977-1978. La dramatique télévisée produite par l’ORTF en 1964 sous la direction de Claude Santelli est un événement. Sans famille est devenu une œuvre patrimoniale.

 

Hector Malot et la Normandie

Des racines normandes

Maison natale à La Bouille

Hector Malot passe 23 ans en Normandie.  Il est né à La Bouille le 20 mai 1830, dans une maison avec vue sur la Seine et le port. D’ailleurs le jour de sa naissance, un mât de voilier aurait brisé la vitre de sa chambre sans troubler son sommeil. Le mouvement des navires et les récits d’aventure racontés par sa mère ont peut-être contribué à forger son imaginaire. Il est presque voisin avec Flaubert, installé à Croisset, sur l’autre rive. Il ne l’a jamais rencontré, mais l’écrivain lui inspire quelques personnages et quelques phrases.

Basilique de Bonsecours

La Normandie est présente dans ses romans. Dans Sans famille Rémi et Mattia, un compagnon d’infortune, découvrent le magnifique panorama de La Bouille. Rouen voit naître Les Amours de Jacques (1860). Oissel est le cadre de Complices (1892). Bonsecours devient Hannebault dans Un curé de province (1872), mettant en scène l’abbé Guillemites qui veut construire une église néo-gothique.

Normande, château-musée de Martainville

Il prête des traits de caractères ethnographiques
à quelques personnages. Les Normands étant censés être prudents et méfiants, il dit d’une femme dans Complices : « Elle parut chercher d’un air plus finaud que niais, en bonne Normande qui ne veut pas risquer une réponse avant de savoir dans quel but on l’interroge ». Il utilise aussi le patois normand.

À une époque où on étudie les « races », c’est-à-dire les familles de peuples, Malot évoque aussi les Vikings, moins que Flaubert toutefois, pour décrire la beauté scandinave de Madeleine dans Cara (1878). Il implante aussi à Hannebault, une haga, ancienne fortification viking.

Pour lui-même, il revendique l’esprit procédurier des Normands et valorise le droit.

Elbeuf-sur-Seine à la loupe

Machine textile, Elbeuf, Fabrique des savoirs

Dans son roman Baccara (1886), Malot choisit Elbeuf pour mettre en scène la bourgeoisie industrielle et personnaliser l’industrie textile. Il exploite la topographie des lieux et son histoire. Dans cette ville drapière ancienne, l’industrie textile s’est revitalisée avec l’arrivée des industriels alsaciens après la guerre de 1870. Mais l’installation de ces nouveaux patrons qui voient grand concurrence l’ancienne génération d’industriels. Fidèle à sa méthode, Hector Malot entreprend au préalable un minutieux travail d’enquête. Il prend contact avec le maire d’Elbeuf, Jules Doublet, un manufacturier, qui l’accueille en octobre 1885. Ainsi il visite le vieux quartier du Puchot, du nom de la petite rivière au cœur de l’industrie lainière avec ses fabriques anciennes, et des établissements industriels modernes (Blin et Bloch) qui s’étalent à la périphérie. S’ensuit une correspondance où Jules Doublet analyse la crise du textile elbeuvien. Ces analyses sont directement transposées dans le roman à travers deux familles manufacturières, l’une attachée à la tradition, l’autre alsacienne et novatrice, miroir de l’évolution de l’industrie textile elbeuvienne.

Promenade dans la Normandie d’Hector Malot

Dans la Normandie vécue d’Hector Malot, il y a d’abord La Bouille, Bosc-Bénard-Commin, Rouen, puis avec le développement du chemin de fer, des lieux d’excursion sur la côte normande et le Cotentin. Dans la Normandie fictive de ses romans s’ajoutent des lieux imaginaires en Basse-Normandie, comme Condé-le-Châtel, aussi improbable que Yonville-l’Abbaye chez Flaubert.

.

Cliquez sur les repères sur la carte pour visualiser les informations et les photos.

Livre de lecture CM2, Mareuil Goupil "L'invitation au voyage"
Mareuil et Goupil, livre de lecture en CM2

En guise de conclusion

Beaucoup d’écrivains du XXe siècle ont été marqués par Sans famille et ont une dette de reconnaissance envers Hector Malot. Ainsi l’auteur du témoignage suivant :

« Je grimpai sur mon lit-cage avec Sans famille d’Hector Malot, que je connaissais par cœur, et moitié récitant, moitié déchiffrant, j’en parcourus toutes les pages l’une après l’autre : quand la dernière fut tournée, je savais lire. »

De qui il s’agit ?

À suivre

Les sources

2 Commentaires

  1. Très belle initiative. Un parcours, certes plus modeste, existe dans le département de la Somme, à Flixecourt et ses environs, dont Hector Malot s’est inspiré pour son roman « En Famille ». Des randonnées littéraires y sont organisées.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *