Pour mesurer l’impact de Flaubert dans notre monde littéraire contemporain, il faut scruter son influence sur les écrivains et la création artistique. Parmi les admirateurs, on n’oubliera pas les lecteurs. La personnalité d’un écrivain compte aussi beaucoup. Que retient-on de lui ? Et Madame Bovary, quelle résonance a-t-elle encore dans notre société ?
Admirateurs et héritiers au XXe siècle
Dans le monde littéraire du XXe siècle où s’est imposé le roman, la liberté d’expression, la patrimonialisation des grands auteurs, brille Flaubert. On l’admire pour ses innovations littéraires comme son esthétique de l’impersonnalité qui laisse au lecteur sa liberté et la perfection formelle de son œuvre, sublimée par la prose poétique qui consacre le roman. On apprécie aussi son esprit critique par rapport à la société de son temps. On est fasciné par son éthique professionnelle et ses excès.
Alors quand on est un écrivain admirateur de Flaubert, on écrit pour analyser son art. On écrit aussi comme lui, en développant une facette de son talent ou une technique et on pousse parfois le trait jusqu’à la radicalité. On dialogue aussi avec le maître en établissant une complicité par le biais de l’intertextualité voire le plagiat. Madame Bovary reste le déclencheur.
Les héritiers du premier XXe siècle
Les héritiers américains
Henry James (1843-1916) fut Un héritier de la première génération ; il a connu et rencontré Flaubert à Paris, en 1875. En cette triste période après la guerre de 1870, Flaubert recevait son cénacle dans son petit appartement du faubourg Saint-Honoré. Introduit par Tourgueniev, Henry James devint un ami suffisamment proche pour être invité à Croisset. Il évoque dans son autobiographie comment, enfant, il avait lu en catimini un épisode de Madame Bovary, dans la Revue de Paris, que ses parents recevaient. Il comprend vite que ce roman est un chef-d’œuvre de perfection formelle, fruit d’un travail inouï. Admirant aussi Flaubert pour son art de la composition, il lui consacre trois essais et un ouvrage, Gustave Flaubert, 1902 (traduit en français en 1969). Il devient à la fin du XIXe siècle un maître du réalisme psychologique et se distingue aussi par des techniques romanesques flaubertiennes, comme les fins non conclusives. Quelques œuvres représentatives : Portrait de femme (1881), Ce que savait Maisie (1897), La Coupe d’or (1904).
William Faulkner (1897-1962) admire Flaubert pour son écriture. Il a lu Madame Bovary dans les années 1920 et a visité Rouen en 1925. Son œuvre est une vaste chronique des comportements humains, d’une grande noirceur, dépourvue de tout jugement sur les personnages. Dans Sanctuaire (1931) l’auteur cultive les liens intertextuels avec Madame Bovary. Au début du roman, lorsque surgit le héros incarnant la lie de l’humanité (Popeye), il associe la couleur noire dans le paysage à un « lac d’encre ». Puis l’odeur du sinistre Popeye qui « sent le noir » permet d’évoquer le liquide noir qui sortait de la bouche d’Emma. L’encre serait un hommage à Flaubert, l’homme-plume. Par l’écriture, Faulkner est proche du maître. Même dans ses romans noirs, il déroule un langage poétique ouvrant sur l’imaginaire. Admirant la concision et la rigueur mathématique de sa prose, il s’impose aussi de « tout dire en une phrase » et un travail ardu pour élever l’écriture au niveau de l’art.
En filigrane, chez Willa Cather dans Une dame perdue (1923) et chez Sinclair Lewis dans Main Street (1920), il y a Emma Bovary.
Les héritiers de langue anglaise en Europe
James Joyce (1882-1941), écrivain irlandais, est francophile et francophone. Il passe une grande partie de sa vie en exil à l’étranger, mais son univers fictionnel est centré sur Dublin. Dans ses œuvres, il fait montre de réalisme psychologique. Ulysse (1922), ouvrage traitant de l’adultère est condamné pour obscénité et censuré jusqu’en 1934. Il commence un roman biographique en 1904, réécrit en 1916 sous le titre de Dedalus et publié à titre posthume en 1944, où il expose une conception esthétique flaubertienne. En commun aussi avec Flaubert, une méthode de travail comprenant un plan préétabli, une collecte phénoménale de documents et des notes qu’il faut ordonner, puis la rédaction. Bon linguiste, il traduit ses œuvres, pour préparer leur réception en Irlande, intégrant aussi de l’anglais irlandais, petite revanche littéraire sur l’Histoire.
Joseph Conrad (1857-1924). Dans la langue et l’écriture très élaborées de Conrad se lit l’influence de Flaubert. Puisant dans ses souvenirs de marin, il fait dans Au cœur des ténèbres (1899) un récit initiatique de la remontée du fleuve Congo sur fond de colonisation belge. Les images, le rythme de la phrase, la musicalité innervent l’histoire. Dans Des Souvenirs, il exprime sa tendresse pour la personnalité de Flaubert.
Du côté de Prague
L’écrivain tchèque Franz Kafka (1883-1924) se déclare le fils spirituel de Flaubert. L’Éducation sentimentale est son miroir. Dépassant le maître, il a une vision pessimiste de l’existence, avec des individus qui se débattent dans une société hostile. Les personnages de l’auteur du Procès sont broyés par un système bureaucratique régi par la bêtise. L’ironie dans ses récits et l’impersonnalité poussée au paroxysme sont d’autres points communs. Dans sa vie privée, on peut encore voir l’influence du maître dans les lettres qu’il adresse à Felice (1912-1917), femme aimée et muse, à qui il fait jouer le rôle de Louise Colet.
Flaubert et le roman moderne
Des échos flaubertiens chez certains romanciers novateurs
Le style de Flaubert ne cesse d’inspirer certains grands romanciers contemporains. L’admiration et la parfaite connaissance de son œuvre expliquent les appropriations stylistiques. On peut y voir un hommage au maître et un tremplin pour une reformulation novatrice.
Vladimir Nabokov (1899-1977), émigré russe naturalisé américain, Nabokov a hérité de son père l’idée que Madame Bovary est un chef d’œuvre indépassable. À quatorze ans, il a lu tout Flaubert en français. Par la suite, l’illustre écrivain est au cœur de son enseignement à l’université Cornell. À lire et relire Madame Bovary, il s’y réfère dans son œuvre. Il s’inspire du personnage d’Emma dans Roi, Dame, Valet (1928) et utilise la métaphore du jeu de cartes pour inviter le lecteur à jouer la carte de la prudence. Dans Regarde, regarde les Arlequins (1974), il envoie le même message, lorsqu’il rejoue le geste perçu par Emma au fameux bal d’une femme jetant quelque chose de blanc dans un chapeau masculin. Par ailleurs, il imite des phrases, certaines techniques stylistiques (usage du point-virgule suivi de « et ») et des scènes. Par exemple, dans Lolita (1955), roman qui fait scandale et le rend célèbre, il contrefait avec malice la phrase de L’Éducation sentimentale : « Il connut la mélancolie des paquebots, les froids réveils sous la tente, l’étourdissement des paysages et des ruines, l’amertume des sympathies interrompues » qui devient « Nous connûmes les cottages en pierre sous les immenses arbres chateaubriandesques, le bungalow en brique, en adobe, le motel en stuc […]. « Nous connûmes la fallacieuse séduction de leurs noms, toujours les mêmes […] ». Dans Ada (1969), la phrase de Flaubert « Quand on partit de Tostes au mois de mars, Madame Bovary était enceinte » devient « Quant au début de septembre, Van Veen quitta Manhattan, il était enceint » [enceint d’un livre]. Dans Le don (1938), la biographie imaginaire de Tchernychevski renvoie à Bouvard et Pécuchet et les hésitations de Bouvard à écrire celle du duc d’Angoulême, jugé « imbécile » sont éclairantes. Nabokov s’approprie aussi la haine du bourgeois dans lequel il projette sa propre vision de la bêtise universelle. Comme Flaubert, il réfute toute appartenance à une école littéraire et ne veut pas être un auteur engagé. Chez lui seul compte le ravissement esthétique que procure l’œuvre.
Georges Pérec (1936-1982) est un écrivain inclassable. L’influence de Flaubert est patente dans Les choses (1965), et La Vie mode d’emploi (1978). Il s’inspire du rythme des phrases de Flaubert et de scènes de L’Éducation sentimentale, tel le voyage en bateau. Il copie aussi délibérément des phrases entières de ce roman. Ainsi, M. Jérôme dit que ce qu’« il avait vu de plus beau au monde, de plus éblouissant, c’était un plafond divisé en compartiments octogones, rehaussé d’or et d’argent, plus ciselé qu’un bijou », description du plafond de la salle des fêtes du château de Fontainebleau qu’on retrouve dans les mêmes termes sous la plume de Flaubert . Pérec, reconnaît un « accaparement », traduisant un « vouloir être Flaubert » et une expérience sur l’écriture. Dans Les choses, il utilise aussi subtilement la valeur des temps de la conjugaison, à savoir le conditionnel et le futur, temps de l’irréel et l’imparfait flaubertien qui crée l’impression d’un récit sans mouvement et traduit une non-histoire.
Flaubert, précurseur du Nouveau Roman ?
À partir des années 1950-1960, Flaubert est salué par la nouvelle génération de romanciers comme le précurseur du Nouveau Roman dont le dogme est qu’on ne peut saisir la réalité (Robbe-Grillet). Alors on admire Flaubert pour sa performance à écrire sur « rien », presque sans sujet, l’œuvre reposant sur la force du style. Nathalie Sarraute perçoit dans Madame Bovary une « substance romanesque nouvelle ». Cette paternité du Nouveau Roman, les flaubertiens des années 1970 la réfutent, considérant qu’elle repose sur une surinterprétation des idées de l’auteur. Il ne saurait être question de voir en Flaubert un inspirateur du nihilisme.
Explorant les états intérieurs des êtres, combinant remous et fluctuations, Nathalie Sarraute refuse le standard de personnages aux caractères bien définis, acteurs d’intrigues convenues et participe à la déconstruction du roman traditionnel, exposée dans L’Ère du soupçon (1956). Au contraire, elle impose des personnages difficiles à cerner, le déplacement de l’action vers les drames souterrains des êtres. Avec l’invention d’un langage dès Tropisme (1939) pour capter la « part d’innommé » dans ses personnages, qu’elle finit par effacer en les désignant à minima par des pronoms, Nathalie Sarraute ne peut qu’apprécier le Flaubert novateur qui privilégie le style à l’intrigue romanesque, même si elle critique son style glacé.
Samuel Beckett (1906-1989), est un écrivain irlandais, francophile. Dans les cercles littéraires parisiens, il rencontre James Joyce. Il renouvelle le théâtre et le roman. En attendant Godot (1952), est le meilleur exemple des œuvres « sur rien », selon l’expression de Flaubert. Cette pièce de théâtre qui repose sur la force du dialogue, en l’absence d’action, est révolutionnaire. Elle fait de lui le maître du théâtre de l’absurde. Derrière les deux compères Vladimir et Estragon, on reconnaît Bouvard et Pécuchet. Par la suite, dans ses romans, il adopte une écriture minimaliste.
De nouveaux filtres d’analyse
Pour le Péruvien Mario Vargas Llosa, chef de file de la nouvelle littérature latino-américaine, Flaubert est « un modèle pour écrire ». Dans son essai, L’orgie perpétuelle (1975), dont le titre vient d’une citation de Flaubert, l’auteur, après avoir déclaré sa passion pour le personnage d’Emma, fait une analyse minutieuse du roman, puis il le replace dans l’histoire du roman moderne. Sur la place du narrateur dans l’œuvre et la finalité de la fiction narrative, il rejoint Flaubert sur les principes de l’impersonnalité et de l’autonomie de la fiction qui préservent la liberté du lecteur.
D’autre part, Vargas Llosa trouve chez Flaubert un modèle de baroque et de démesure, non seulement dans Salammbô, La Tentation de saint Antoine, mais aussi dans Bouvard et Pécuchet, et dans la folie de Madame Bovary.
Admirant aussi l’éthique professionnelle de Flaubert, il lui rend hommage lors de l’attribution de son prix Nobel en 2010 : « Flaubert m’a enseigné que le talent est une discipline tenace et une longue patience ».
La redécouverte de Bouvard et Pécuchet
Dans la deuxième moitié du XXe siècle, on voit émerger Bouvard et Pécuchet comme œuvre préférée des écrivains. Parmi eux, Georges Pérec. Redécouverte qui s’accompagne de travaux éditoriaux. Cette œuvre singulière et inachevée était bien déconcertante pour les contemporains. Que voulait démontrer Flaubert avec ses deux nigauds partis explorer le savoir encyclopédique ? Dépassés par leur inexpérience, les limites des travaux consultés, l’énormité de la bêtise sous-jacente, les deux personnages sont ambigus, tour à tour bouffons et philosophes. Jorge Luis Borges (Discusión, 1932) et Raymond Queneau (Bâtons, chiffres et lettres, 1950) ont vu dans Bouvard et Pécuchet une œuvre maîtresse de Flaubert. Ils pensent qu’à travers la confiance naïve des deux protagonistes envers la science, Flaubert veut montrer que la bonne approche est le doute méthodique et qu’en fin de compte l’ouvrage est un hommage à la science. C’est aussi la conclusion d’Italo Calvino qui admire le travail de Flaubert pour réaliser cette œuvre. Le lecteur contemporain apprécie l’humour du Dictionnaire des idées reçues (et du Catalogue des idées chics), qui devait faire partie du volume 2.
Actualité du bovarysme
Des analyses sur le sentiment d’insatisfaction d’Emma dû au décalage entre la vie fantasmée romanesque et la vie réelle médiocre est apparu le mot « bovarysme », créé en 1902 par Jules de Gaultier. Le mot « bovaryser » est entré dans le Larousse en 2013 : « rêver d’un autre destin plus satisfaisant ». Perpétué par la fascination du personnage d’Emma et l’universalité des cas, le bovarysme a encore une résonnance. Il serait même inhérent à la société de consommation. Les achats compulsifs pour compenser un vide et sous l’emprise de la mode en seraient une manifestation. Mais le bovarysme n’est pas l’apanage des femmes. En outre, dans une société individualiste, où les modèles iconiques vous donnent envie d’être ailleurs et quelqu’un d’autre, la fuite en dehors du monde réel est tentante. En ce XXIe siècle, elle est rendue possible par les réseaux sociaux qui organisent le bonheur virtuel.
Flaubert vu par les intellectuels
Flaubert intéresse les intellectuels : les philosophes (Roland Barthes), les historiens (Michel Winock), la sociologie, le monde littéraire.
Jean-Paul Sartre s’intéresse à Flaubert comme support pour tester sa méthode présentée dans Questions de méthode, ayant pour objectif d’arriver à une connaissance quasi-totale de l’individu. Il choisit d’étudier Flaubert, bien qu’à l’origine il éprouve pour lui de l’antipathie. Peut-être pense-t-il que l’analyse sera facilitée par les confidences de l’écrivain dans sa correspondance et par leur origine sociale commune. Il consulte une masse de documents et travaille sur son projet pendant dix ans. Le résultat est L’idiot de la famille. Gustave Flaubert de 1821 à 1857, en trois volumes et 2800 pages, publié en 1971. L’ouvrage tient de la biographie, de l’essai de psychanalyse et de philosophie, de l’enquête sociologique. L’écriture est magistrale. Le freudisme reconverti en psychanalyse existentielle donne des clés et oriente Sartre sur les blessures d’enfance de l’écrivain, sa maladie et ses conséquences sur le choix de l’écriture et le sens de son œuvre.
La réception de son ouvrage est mitigée : les flaubertiens l’accueillent froidement : les sources sont floues et Flaubert déformé. Bourdieu critique la méthode : l’emploi de la psychanalyse. P.-M. de Biasi, spécialiste de Sartre, conteste les conclusions sur les conséquences supposées de la maladie. Les sartriens sont déçus : ils s’attendaient à un ouvrage plus engagé politiquement. En résumé, l’étude de Sartre est vue comme une reconstruction sartrienne de la vie de Flaubert et une approche de lui-même.
Pierre Bourdieu est un lecteur de Flaubert. L’Éducation sentimentale en particulier retient son attention. Pour lui, Flaubert est « le plus sociologue des romanciers ». Avec un souci formel, il situe avec finesse ses personnages au sein d’un espace social : la bourgeoisie des années 1850. En outre, il met en lumière des forces politiques et économiques qui contribuent à dessiner les devenirs possibles du héros, Frédéric Moreau, et ceux des autres jeunes protagonistes.
Bourdieu s’empare de ce roman pour affirmer la pertinence de sa méthode sociologique : l’analyse du roman doit positionner l’œuvre et l’auteur au sein du champ littéraire. Pour comprendre Flaubert, il faut donc le situer dans le contexte littéraire de l’époque, caractérisé par des normes, une hiérarchie, des luttes internes. Bourdieu explicite cette approche dans son ouvrage Les Règles de l’art (1992). En outre, il met aussi en lumière la valeur réflexive du roman. Il souligne qu’à travers Frédéric Moreau, Flaubert met en scène un individu qui occupe une position sociale similaire à la sienne mais qui n’arrive pas à écrire un roman. Flaubert objectiverait ainsi sa propre situation sociale. La lecture de Bourdieu s’oppose à celle de Sartre, d’inspiration psychanalytique.
Cette étude bourdieusienne présente Flaubert comme un romancier du social et, sans le savoir, un créateur du champ littéraire contemporain. Comme elle fait prévaloir l’intérêt sociologique du roman en procédant à une socioanalyse en négligeant sa valeur littéraire, elle hérisse encore fortement le monde universitaire des lettres.
Le point sur les études flaubertiennes
L’université de Rouen est à la pointe des études flaubertiennes. En 1970 commence la critique génétique de certaines œuvres de Flaubert à partir des manuscrits et dossiers déposés en bibliothèques, qui permettent d’étudier le travail d’écriture et la fabrication de l’œuvre.
La création d’un Centre Flaubert devenu le laboratoire CÉRÉDI (1999) dirigé par Yvan Leclerc à l’université de Rouen a favorisé la collecte et la mise en ligne de tous les matériaux venant de Flaubert. Dans sa revue en ligne, Revue Flaubert devenue Étude critique et génétique, le laboratoire diffuse un grand nombre d’études thématiques.
La Correspondance est aussi une mine de renseignements. Pour la Pléiade, Yvan Leclerc a participé à l’édition et à l’annotation de Correspondance V (2007) et à la dernière édition des Œuvres complètes (2021). Il dirige aussi avec Florence Godeau une équipe internationale « Flaubert sans frontières ».
Variations sur Flaubert
L’œuvre de Flaubert se prête à des produits littéraires dérivés, certains créés à l’occasion de la célébration du bicentenaire de sa naissance qui suscite une effervescence créatrice.
Julian Barnes, britannique, lauréat de plusieurs prix littéraires, francophile, publie en 1984 un singulier « roman » : Le perroquet de Flaubert. Le héros, Geoffrey Braithwaite, médecin veuf, entiché de Flaubert, se rend en Normandie sur les pas du romancier et découvre l’existence de plusieurs perroquets empaillés, chacun étant présenté comme le modèle de Loulou dans Un cœur simple. Quel est le bon ? L’enquête commence. L’humour est au rendez-vous. De nombreuses digressions racontent la vie de Flaubert et celle de son admirateur. Le psittacisme du personnage qui répète mécaniquement des mots, finit par traduire une souffrance. Quelle est la vérité du personnage ? En rapport avec Flaubert sont abordées les théories sur le roman moderne. Ainsi pour illustrer l’idée de la nécessaire multiplication des points de vue, trois biographies contradictoires de Flaubert sont présentées. Qui est le vrai Flaubert ? Y a-t-il un rapport entre la vie et l’œuvre ? Où est la vérité de l’écrivain ? En fait, Barnes compose un magistral essai pour montrer les enjeux de l’écriture.
En France, pétris de Flaubert, des écrivains se lancent dans des pastiches. Régis Jauffret, dans Le dernier bain de Flaubert, 2021, donne la parole à Flaubert, qui raconte post-mortem sa vie, avec la supériorité de quelqu’un qui sait qu’elle s’arrêtera le 8 mai 1880, dialoguant avec ses personnages de roman et les êtres chers, dans un langage flamboyant qui restitue sa personnalité.
Dans son Flaubert, 2018, Marie-Hélène Lafon retrace en cinquante pages, dans un style enlevé, les événements significatifs de la vie de Flaubert, aimant à souligner qu’il a été jeune et beau.
Un Monsieur Bovary voit le jour en 2006, sous la plume d’Antoine Billot. Il réécrit l’histoire bien connue, mais du point de vue de Charles Bovary, en toute subjectivité, à la troisième personne, à la lumière de nouvelles sources d’informations.
Dans le projet Bowary, 2021, initié par le collectif Baraques Walden et coordonné par Stéphane Nappez, chacun des dix auteurs et autrices réécrit une partie de Madame Bovary sous forme de tweets. Au final, l’œuvre tient en 280 tweets, livrés un à un, constituant un feuilleton divertissant.
Le roman graphique, Gemma Bovery (2000), de l’illustratrice anglaise Posy Simmonds est une adaptation burlesque de Madame Bovary qui s’impose par son mélange des genres assumé. L’histoire a pour cadre la Normandie rustique et la société contemporaine. Inversant les rôles, cette fois-ci c’est le boulanger normand pétri de Flaubert qui fabule sa vie tandis que Gemma est une jeune femme moderne adaptée à son temps. En résonance avec le roman de Flaubert, on retrouve le conflit entre l’idéal et la banalité de la vie, une critique des sphères socio-culturelles qui prennent la forme d’une rivalité entre les cultures française et britannique. L’autrice interroge notre société contemporaine, en raillant par exemple l’influence des régimes amaigrissants sur la fidélité conjugale.
Dans Bovary, le dramaturge portugais Tiago Rodrigues revisite le roman de Flaubert. Dans sa pièce, l’auteur associe le roman, le procès de 1857 et une correspondance imaginaire de Flaubert commentant l’audience. Emma est au banc des accusés. Les protagonistes s’interpellent. Le public est sollicité. Cette pièce brillante et drôle plaide pour la liberté de l’art et dénonce la censure, d’hier et d’aujourd’hui. Créée à Lisbonne et adaptée en français (2015), la pièce obtient un franc succès. Elle a été jouée à Rouen.
Conclusion
On lit toujours Flaubert, on l’étudie, on s’en inspire pour écrire. Nombre d’écrivains ont leur ouvrage favori et chaque œuvre a ses phrases et ses scènes culte qui font le tour du monde. Les lecteurs ont découvert récemment un autre monument littéraire : la Correspondance. La prose poétique du maître influence toujours l’écriture romanesque. Il y a du Flaubert chez de nombreux écrivains français et étrangers, pour reprendre la formule du parolier d’un célèbre chanteur. Alimentée par les échos du passé, le succès des œuvres et de leurs adaptations, sans oublier la dynamique des travaux universitaires, on peut certainement parler d’une passion Flaubert au XXIe siècle.
Sources et sitographie
Lire Magazine littéraire, février-mars 2021. Hors-série sur Gustave Flaubert.
« Flaubert et ses héritiers », Magazine littéraire, février 1988.
« Les vies de Madame Bovary », Magazine littéraire, novembre 2006.
Dayre Eric et Godeau Florence (dir.), D’après Flaubert, Éditions Kimé, 2021.
Dubuc André, « Henry James et Flaubert », Bulletin Flaubert-Maupassant, n° 36, 1970, p. 37.
Fournier Louis, Flaubert et le Nouveau Roman, un cas de paternité douteuse », Bulletin des Amis de Flaubert et Maupassant, 1978, n° 52.
Herschberg Pierrot Anne, « Flaubert, contemporain », Flaubert, n°18, 2017 http://journals.openedition.org/flaubert/2810
Seginger Gisèle, Dictionnaire Flaubert, Éditions Champion 2017.
Sur les dérivés : https://flaubert-v1.univ-rouen.fr/derives/mb_reecri.php
Sur Nabokov : https://eriac.hypotheses.org/510
Sur le bovarysme : http://www.slate.fr/story/111891/virus-bovary
https://flaubert.univ-rouen.fr
https://flaubert21.fr/en
Chère Chantal,
Merci pour ta sagesse,
merci pour ta patience à nous enrichir,
Ton travail est superbe.
Claudine